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Page:Delacroix - Journal, t. 3, éd. Flat et Piot, 3e éd.djvu/259

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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

nable ; l’exacte vérité des caractères ou leur exagération, la multiplicité comme la sobriété des détails, la réunion des masses comme leur dispersion, toutes les ressources de l’art, en un mot, deviennent sous la main de l’artiste comme les touches d’un clavier dont il tire certains sons, tandis qu’il laisse sommeiller certains autres.

La source principale de l’intérêt vient de l'âme, et elle va à l'âme du spectateur d’une manière irrésistible. Non pas que toute œuvre intéressante frappe également tous les spectateurs par cela que chacun d’eux est censé avoir une âme : on ne peut émouvoir qu’un sujet doué de sensibilité et d’imagination. Ces deux facultés sont aussi indispensables au spectateur qu'à l’artiste, quoique dans une mesure différente.

Les talents maniérés ne peuvent éveiller un intérêt véritable ; ils peuvent exciter la curiosité, flatter un goût du moment, s’adresser à des passions qui n’ont rien de commun avec l’art ; mais comme le caractère principal de la manière est le défaut de sincérité dans le sentiment comme dans l’imitation, ils ne peuvent frapper l’imagination qui n’est en nous-mêmes qu’une sorte de miroir où la nature telle qu’elle est vient se réfléchir pour nous donner, par une sorte de souvenir puissant, les spectacles des choses dont l'âme seule a la jouissance.

Il n’y a guère que les maîtres qui excitent l’intérêt, mais ils le font par des moyens différents, à raison de la pente particulière de leur génie. Il serait absurde