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Page:Delacroix - Journal, t. 3, éd. Flat et Piot, 3e éd.djvu/269

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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

faisant la caricature de ses draperies, etc. Titien et les Flamands ont l’esprit de l’antique, et non l’imitation de ses formes extérieures.

L’antique ne sacrifie pas à la grâce, comme Raphaël, Corrège et la Renaissance en général ; il n’a pas cette affectation, soit de la force, soit de l’imprévu, comme dans Michel-Ange. Il n’a jamais la bassesse du Puget dans certaines parties, ni son naturel par trop naturel.

Tous ces hommes ont, dans leurs ouvrages, des parties surannées ; rien de tel dans l’antique. Chez les modernes, il y en a toujours trop ; chez l’antique, toujours même sobriété et même force contenue.

Ceux qui ne voient dans Titien que le plus grand des coloristes sont dans une grande erreur : il l’est effectivement, mais il est en même temps le premier des dessinateurs, si on entend par dessin celui de la nature[1], et non celui où l’imagination du peintre a plus de part, intervient plus que l’imitation. Non que cette imagination chez Titien soit servile : il ne faut que comparer son dessin à celui des peintres qui se sont appliqués à rendre exactement la nature dans les écoles bolonaise ou espagnole, par exemple. On peut dire que chez les Italiens le style l’emporte sur

  1. Aux lecteurs désireux d’approfondir cette intéressante distinction entre le « dessin de la nature et celui où l’imagination du peintre a le plus de part », rien ne saurait être plus précieux que le commentaire et le développement de cette même idée, repris à plusieurs reprises par Baudelaire dans ses différentes Études sur Delacroix, et notamment dans une comparaison qui mérite de demeurer classique entre le dessin d’Ingres et le dessin de Delacroix. (Voir les Curiosités esthétiques et l’Art romantique.)