Aller au contenu

Page:Delacroix - Journal, t. 3, éd. Flat et Piot, 3e éd.djvu/270

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
256
JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

tout : je n’entends pas dire par là que tous les artistes italiens ont un grand style ou même un style agréable, je veux dire qu’ils sont enclins à abonder chacun dans ce qu’on peut appeler leur style, qu’on le prenne en bonne ou mauvaise part. J’entends par là que Michel-Ange abuse de son style, autant que le Bernin ou Pietre de Cortone, eu égard pour chacun à l'élévation ou à la vulgarité de ce style : en un mot, leur manière particulière, ce qu’ils croient ajouter ou ajoutent à leur insu à la nature, éloigne toute idée d’imitation et nuit à la vérité et à la naïveté de l’expression. On ne trouve guère cette naïveté précieuse chez les Italiens qu’avant le Titien, qui la conserve au milieu de cet entraînement de ses contemporains vers la manière, manière qui vise plus ou moins au sublime, mais que les imitateurs rendent bien vite ridicule.

Il est un autre homme dont il faut parler ici, pour le mettre sur la même ligne que le Titien, si l’on regarde comme la première qualité la vérité unie à l’idéal : c’est Paul Véronèse. Il est plus libre que le Titien, mais il est moins fini. Ils ont tous les deux cette tranquillité, ce calme tempérament qui indique des esprits qui se possèdent. Paul semble plus savant, moins collé au modèle, partant plus indépendant dans son exécution. En revanche, le scrupule du Titien n’a rien qui incline à la froideur : je parle surtout de celle de l’exécution, qui suffit à réchauffer le tableau ; car l’un et l’autre donnent moins à l’expression que la plupart des grands maîtres. Cette qualité si rare, ce