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Page:Delacroix - Journal, t. 3, éd. Flat et Piot, 3e éd.djvu/274

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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

Jeudi 5 mars. — Aujourd’hui, pendant mon déjeuner, on m’apporte deux tableaux attribués à Géricault, pour en dire mon avis. Le petit est une copie très médiocre : costumes de mendiants romains. L’autre, toile de 12 environ, sujet d’amphithéâtre, bras, pieds, etc., et cadavres d’enfants, d’un relief admirable, avec des négligences qui sont du style de l’auteur et ajoutent encore un nouveau prix. Mise à côté du portrait de David, cette peinture ressort encore davantage. On y voit tout ce qui a toujours manqué à David, cette forme pittoresque, ce nerf, cet osé qui est à la peinture ce que la vis comica est à l’art du théâtre. Tout est égal, l’intérêt n’est pas plus dans la tête que dans les draperies ou le siège. L’asservissement complet à ce que lui présentait le modèle est une des causes de cette froideur ; mais il est plus juste de penser que cette froideur était en lui-même : il lui était impossible de rien trouver au delà de ce que ce moyen imparfait lui présentait. Il semble qu’il fût satisfait quand il avait bien imité le petit morceau de nature qu’il avait sous les yeux ; toute sa hardiesse consistait à mettre à côté un fragment, pied, bras, moulé sur l’antique, et à ramener le plus possible son modèle vivant à ce beau tout fait que le plâtre lui présenterait.

Ce fragment de Géricault est vraiment sublime : il prouve plus que jamais qu’il n’est pas de serpent ni de monstre odieux, etc. C’est le meilleur argument en faveur du Beau, comme il faut l’entendre. Les incorrections ne déparent point ce morceau. À côté