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Page:Delacroix - Journal, t. 3, éd. Flat et Piot, 3e éd.djvu/283

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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

de pensées avec les autres : Cette apparence que nous sommes heureux de donner à notre imagination est un besoin de tous ceux qui composent pour le public, surtout quand leur inspiration est naïve et sincère. Je me figure que les peintres ou les écrivains chez lesquels le lieu commun tient une grande place, n’ont pas autant besoin de cette confirmation qui vient, par la rencontre d’esprits analogues aux leurs, les rassurer sur la valeur de leurs propres pensées. C’est un besoin impérieux pour ceux dont les inventions sont taxées de bizarrerie, et qui, peut-être à cause de leur originalité, ne trouvent qu’un public rétif et peu disposé à les comprendre.

Champrosay, 9 mai. — Parti pour Champrosay à une heure un quart. Pluie affreuse en arrivant ; je l’ai reçue tout entière, ainsi que Jenny.

Nous nous étions arrêtés quelques instants auparavant dans notre ancien jardin, tout ouvert et ravagé à cause des travaux que fait Candas. J’ai vu la petite source, qui ne sert plus qu'à laver du linge : tout cela souillé de savon et croupissant. Les cerisiers que j’ai plantés tout petits sont devenus énormes. On voit encore la trace des allées que j’avais tracées. Cela m’a donné des émotions plus douces que tristes. Je me suis rappelé les années que j’avais passées là.

J’aime toujours ce pays ; je me colle facilement aux lieux que j’habite : mon esprit, mon cœur même les animent.