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Sur les houles sans fin ses prunelles troublées
Voyaient des spectres verts, têtes échevelées,
Monter et plonger tour à tour,
Et dans les profondeurs sans bornes et sans portes,
La nuit il entendait gémir les âmes mortes
Cinglant vers l’éternel séjour.

Cernant le monde avec son cercle d’amertume,
Sur le soleil, le soir, tirant ses plis d’écume,
La mer, c’était le grand cercueil ;
De l’ordre de Dieu même elle gourmandait l’homme :
« Arrête ! quel que soit le nom dont on te nomme,
« Beau roi, brise ici ton orgueil !

« Tu n’iras pas plus loin, si ce n’est dans la tombe. »
Ô mer ! ce n’est jamais pour longtemps qu’il succombe.
L’audace est le génie humain.
Mer, ce géant reprend haleine en toute chute,
Et l’obstacle d’hier, pour l’éternelle lutte,
Il s’en fait une arme demain !

Qui regarde longtemps l’abîme y veut descendre.
L’homme façonne un jour un tronc qu’il vient de fendre :
Tu le subis dorénavant ;
Il flotte. Ta colère a beau blanchir les plages,
Sur leurs boucliers noirs mille tribus sauvages
S’en vont au large en la bravant.