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DISCOURS PRÉLIMINAIRE.

si, rejetant toute observation, tout calcul, toute démonstration et toute Géométrie, il s’est uniquement livré à ses réflexions solitaires, et s’est perdu dans un monde qui n’a jamais existé que dans son imagination. Ce n’est pas notre faute si, en méditant ses écrits, sa conduite et les circonstances de sa vie, il nous a paru impossible de rejeter cette idée affligeante, que ce puissant génie était atteint de cette maladie, dans laquelle une idée fixe, qu’on n’abandonne jamais, fait qu’on déraisonne sur tout ce qui tient ou qu’on rattache à cette idée. De grands hommes ont été atteints de cette maladie. Pascal, qui voyait toujours à côté de lui le précipice où il avait manqué périr, avait en outre quelques idées noires et non moins chimériques, qui sont la base uniforme de ses Pensées. J. J. Rousseau croyait tout l’univers ligué contre lui. Ces travers d’imagination ne les ont pas empêché d’être des écrivains du premier ordre, des dialecticiens forts et subtils, et des modèles de style en des genres très différens. Descartes avait, comme eux, sa chimère, sa Science admirable, qui lui fit parcourir toute l’Allemagne à la poursuite des Roses-Croix, qui annonçaient quelque chose qui ressemblait à sa science. Nous accorderons à Descartes tout ce qu’on voudra en Géométrie ; mais en Astronomie nous ne verrons en lui qu’un esprit très dangereux, dont les visions se sont opposées long-tems à l’établissement des saines doctrines ; et dont les succès trop long-tems soutenus peuvent égarer des esprits d’un ordre moins élevé. Dans les systèmes enfantés au mépris des connaissances positives, par les imaginations les plus déréglées, a-t-on jamais vu rien de plus impossible, de plus bizarre et de plus inutile que ces tourbillons absorbés les uns par les autres, quand les astres qui sont au centre viennent à s’encroûter ; rien de si chimérique que la matière subtile, rien de si ridicule que la matière canelée ; et cependant quelle vogue n’ont pas eu de pareilles visions ? Quel auteur de système ne se croira pas assez dédommagé de ses peines, s’il peut obtenir que ses rêveries soient préconisées pendant cent ans, dussent-elles à la fin éprouver le sort de celles de Descartes ? La gloire de Descartes n’a-t-elle pas enflammé l’imagination de tous ces faiseurs de systèmes que nous voyons éclore chaque année ? N’avons-nous pas vu un docteur allemand envoyer à la classe des Sciences mathématiques un Mémoire dans lequel, à l’aide de quelques principes métaphysiques, il créait une Chimie tout entière, et qui ressemblait à la Chimie réelle, comme le monde de Descartes ressemble au monde que nous connaissons depuis que le culte de Descartes est aboli. Voilà les réflexions qui nous ont fait une loi de la