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Comme tout le monde

Le marquis reprit une cigarette, taquina du bout du pied le grand chien mélancolique. Isabelle entr’ouvrit son manteau. Une griserie inconnue la soulevait. Sans rien formuler, emportée dans un tourbillon de délices, elle se sentait jolie, audacieuse, à sa place dans cette atmosphère parfumée au tabac blond, parmi ces fleurs, ces feuilles, ces bêtes dorées, ces coussins, en face de cet homme grisonnant et séducteur, dont la race semblait aussi fine que celle de son sloughi à taille mince allongé sur la peau d’ours blanc. Certes, il y avait du miracle en elle et tout autour d’elle. Pour la première fois de sa vie son âme et son corps étaient à l’unisson. Ses idées naissaient claires et faciles comme ses paroles, son sang circulait bien. Elle se sentait, comme on dit en anglais, « confortable ».

Le marquis reprit le français pour l’entretenir avec bonhomie de ses chasses, de ses chiens, de ses chevaux.

— Vous aimez aussi beaucoup vous promener… dit-il.

Et il lui parla d’un adorable petit chemin détourné que personne ne paraissait connaître dans le pays. Il lui indiqua minutieusement le moyen de s’y rendre, dit qu’il y allait parfois lui-même, à pied, vers trois heures.