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Comme tout le monde

instants. Elle eût voulu vivre derrière un masque, derrière un voile. Elle songeait puérilement : « Si les fées me proposaient un don, je demanderais de ne jamais rougir. »

Et son visage était devenu pour elle une calamité.

Elle n’ose plus respirer, vivre, penser librement que lorsqu’elle est couchée et que la nuit la protège. Alors, elle repasse dans sa mémoire les moindres détails de sa dernière entrevue avec son marquis.

Une gêne chagrine lui est restée au fond de la poitrine, à cause de ce pavillon dont il a parlé, ce pavillon dans lequel — elle l’a très bien compris — il l’attendrait comme un amant.

Un amant !… Isabelle n’est pas sensuelle. Ce mot ne l’enivre pas. Elle ne demande à l’amour que des regards et des causeries longues et douces. Le seul plaisir qu’elle imagine serait de passer sa paume sur les cheveux gris du marquis, d’embrasser ses paupières fatiguées. Le reste lui semble absurde et révoltant.

Est-ce que vraiment le marquis songeait « au reste » en lui parlant de ce pavillon ? Est-ce qu’il voulait qu’Isabelle fût sa…

La honte et l’orgueil l’envahissent ensemble au mot qu’elle n’a pas prononcé, même en esprit. N’est-il pas stupéfiant de penser qu’on puisse songer à elle, Isabelle Chardier, quand on est