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Page:Delarue-Madrus - Comme tout le monde.djvu/170

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Comme tout le monde

avait envie, par moments, de lui tout raconter. Alors, elle baissait ses paupières sur ses prunelles rousses, parce qu’elle sentait que son regard révélait des choses.

Qu’avait-il, ce docteur, de si différent des autres personnes de la ville ? Jamais ses paroles ne dépassaient le ton de la conversation qu’un médecin peut avoir avec sa malade. Mais, de ses yeux pénétrants et noirs, il vous regardait parfois en silence, tandis que ses narines palpitaient au-dessus de sa barbe grisonnante, et l’on avait la sensation, quand il était parti, qu’il vous avait interrogée et qu’on s’était livrée à lui sans défense.

Les visites des dames sont moins émotionnantes.

Dans la chambre où tant de cris ont été poussés, où tant de sang s’est répandu, elles viennent, ces femmes, ces mères, ces madame Chanduis-notaire et ces madame Levoisin-rentière, s’asseoir avec des yeux insignifiants, des paroles niaises, comme si elles ignoraient tout de l’horreur d’enfanter, comme si la naissance n’était pas la sœur jumelle de la mort.

On se penche sur le berceau, on pousse des petits cris d’oiseau devant le nouveau-né : « Qu’il est mignon !… Qu’il est fort !… » L’une apporte des chaussons de laine blanche à rubans bleus qu’elle a tricotés elle-même, l’autre un bavoir brodé, la troisième un hochet d’ivoire.