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Comme tout le monde

destinement un caillou dans sa bouche, ou bien se mettait à manger de la terre.

Isabelle, les yeux vagues, s’attardait au délice de sentir se dégonfler lentement son sein trop tendu, qu’un miracle naturel remplissait à mesure d’ambroisie. Elle portait avec orgueil ses deux sources de lait chaud cachées dans son corsage de femme. Elle savait que la santé de son petit dépendait directement d’elle ; que l’humeur, l’alimentation, influent sur le lait ; que l’enfant qui tette fait encore partie de sa mère au point qu’il souffre immédiatement de ses contrariétés ou de sa mauvaise digestion. Aussi tâchait-elle de ne jamais s’énerver, s’astreignait-elle à boire de la bière, qu’elle ne pouvait souffrir, afin que son lait fût plus nutritif.

Elle prit, en peu de temps, cet embonpoint excessif, particulier aux femmes « qui nourrissent ». Sa jolie petite figure s’empâta. Indifférente à cela, négligée, les pieds en savates, elle ne sortait plus jamais de chez elle. Les visites furent abandonnées.

Elle ne pensait guère non plus à sa chère musique, à ce chant toujours empêché, qui l’exaltait et la consolait. L’heureuse animalité maternelle suppléait à tout.

Par ailleurs, les affaires de Léon prospéraient. On avait repris à la journée la femme qui faisait la