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Comme tout le monde

dodelinait dans ses bras en chantonnant tout bas.

Il y eut une nuit particulièrement pénible où, n’en pouvant plus de lassitude, Isabelle, tout en promenant l’enfant, se prit à pleurer. Pouvait-elle confier son petit à la bonne de quinze ans qui se serait endormie debout ? Pouvait-elle réveiller Léon que ses affaires occupaient tant dans la journée, qui avait droit au sommeil ? Elle envia les riches, d’un cœur soudain amer. Et, par contagion, toutes ses peines écartées lui revinrent. On peut avoir une rage de tristesse comme on a des rages de dents. Isabelle, à présent, sanglotait.

Sait-on ce que veut dire le mot « mourir de fatigue » ? Isabelle mourait de fatigue. L’enfant criait de plus en plus. Les heures passaient.

Et tout à coup, comme elle regardait machinalement vers les fenêtres aux rideaux retombés, Isabelle eut une inspiration qui lui sembla bizarre, comme un fruit de ses trop longues insomnies, mais à laquelle elle ne résista point. Essuyant ses larmes, elle enveloppa dans un pan de châle le petit criard à bout de souffle, tira vivement les rideaux, ouvrit la fenêtre et, s’appuyant du coude sur le rebord, se tint debout devant la nuit.

Pourquoi donc avait-elle-fait cela ? Brusquement, le tout petit s’était tu.

L’air noir passait dans les cheveux d’Isabelle,