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Page:Delarue-Madrus - Comme tout le monde.djvu/210

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Comme tout le monde

Les joues molles, les regards éteints, on dirait, depuis quelques jours, qu’elle a subitement vieilli. Ses semelles appuient plus lourdement sur les marches de l’escalier, ses gestes se découragent. Elle n’a plus, pour la soutenir dans sa marche monotone à travers les années, le sentiment caché qui faisait son orgueil, celui d’être, à ses propres yeux, une martyre du devoir. Ce qu’elle a refusé d’entendre dans sa jeunesse, avec un courage d’héroïne, ce n’est plus l’appel magnifique et doux d’un seigneur amoureux ; ce n’est plus du baiser de l’âme-sœur qu’elle s’est détournée. Elle a simplement évité quelque honteuse et brève aventure avec le monsieur du château, aventure de subalterne séduite par un supérieur vicieux. Isabelle, pendant douze années, a vécu d’erreur comme on vit de rêve. Elle est maintenant dépoétisée, perdue, finie…

Par une sorte de perversité dans la souffrance, elle se plaisait, depuis l’autre soir, à faire bavarder la grosse Modeste sur les Taranne Flossigny. Elle ne se lassait pas d’entendre cette parole pittoresque, précise et féroce, qui mettait en lambeaux l’idole vénérée. Attardée à la cuisine, le dos rond dans son peignoir terne, elle écoutait interminablement les anecdotes et les descriptions.

Au sortir de ces auditions, elle rentrait, chan-