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Comme tout le monde

d’âge, redevenaient des gosses turbulents. Mais Léon, l’aîné, préférait à tous les jeux cette lecture et ce reniflement dont il exaspérait innocemment sa mère.

Que lisait-il donc ?…

On le sut un soir d’une façon bien inattendue.

M. Benoît, capitaine retraité, qui vient après dîner chercher Léon pour aller au cercle, veut saluer un instant madame Chardier. Chauve et ratatiné, le vieux célibataire qui, depuis tant d’années, donne à rire à la sous-préfecture, dit d’abord dès le seuil, voyant la grosse lampe allumée dans la suspension :

— Peste ! chère madame !… Chez vous, c’est éclairé, comme disent les Italiens, à gigorno !

Puis, se penchant d’un air d’importance sur l’épaule du liseur :

— Qu’étudiez-vous là ?…

Le jeune Léon ouvre la bouche avec effort :

— Balzac.

— Comment !… fait M. Benoît, vous savez lire Balzac dans le texte ?… Mes compliments, jeune homme !

Donc, il lisait Balzac. Isabelle en fut étonnée. Elle n’avait jamais songé à lui demander le titre de ses livres. Quel intérêt pouvait-il prendre à cette lecture, son fils, ce futur avoué ?