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Page:Delarue-Madrus - Comme tout le monde.djvu/246

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Comme tout le monde

de pleurer j’ai baucou de plaisir à técrire ma chère petite… »


Elle ne put continuer. Elle sentait la pauvre grimace du chagrin tordre tout son visage. Elle repoussa les papiers, laissa tomber sa tête dans ses mains, et sa crise de douleur solitaire fut convulsive et longue.

Aujourd’hui seulement elle s’était décidée à relire ces lettres d’enfant, enfermées si longtemps dans le secrétaire. Depuis un mois, elle n’avait pu que pleurer, puis rôder comme une louve dans la maison ou bien au cimetière, soignant la tombe neuve de son fils comme les jeunes mères soignent les berceaux. Et vraiment de sentir cet enfant si près d’elle, bien que mort, c’était presque une compagnie, une compagnie tragique, mais inespérée.

Isabelle, au bout d’un moment, rangea les lettres, ferma le secrétaire. Il lui fallait maintenant courir au cimetière, où l’attendait le petit mort. Devant son armoire à glace, elle coiffa d’un geste dolent son chapeau tout enténébré du voile de crêpe. Bien que sa poitrine se fût calmée, des larmes lentes lui sortaient encore des yeux, ces yeux inépuisables des femmes. Depuis un mois, sur sa face jaunie, cette eau toujours renouvelée roulait jusqu’à sa bouche rouge saturée de sel.