Page:Delarue-Madrus - Comme tout le monde.djvu/247

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
235
Comme tout le monde

Un instant elle se vit pleurer dans la glace, triste dame sur le retour et tout de noir vêtue. Pourquoi n’y a-t-il pas de mot pour nommer les mères qui pleurent leurs enfants ? On dit « une veuve », on dit « une orpheline ». Sans doute n’y a-t-il pas de parole qui puisse désigner une telle douleur.

Tout à coup, en bas, une porte claque, des voix parlent. L’éclat de rire du petit Louis monte, frais et léger, à la porte du jardin. Sa leçon vient de finir.

Isabelle tressaille violemment. Ce rire l’a cinglée comme un coup de fouet.

« Comment peut-on rire quand mon fils est mort ? Je vais courir en bas ! Oui, mes mains sont prêtes à souffleter l’enfant qui vient de rire, oublieux du deuil où nous laisse, en mourant, son frère ! »

À la porte du jardin, elle ne trouve plus l’écolier. Il est peut-être tout au bout de l’allée, déjà, à moins qu’il n’ait sauté sur sa bicyclette. Isabelle scrute l’espace autour d’elle, d’un coup d’œil irrité, puis se décide à renoncer à cette colère préparée. Baissant son voile, la voici qui s’en va, rapide, par les rues mornes, vers le cimetière de la ville.

Personne ne l’a croisée, personne qui puisse, sur sa figure ravagée, saisir cette expression de rancune sans pardon qui, depuis un mois, se précise et s’aggrave. Sans vouloir se l’avouer, Isabelle en