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Comme tout le monde

selle. Pour la première fois de sa vie, sa tristesse ne se concentre pas sur elle-même seulement ; elle souffre pour toutes les femmes mariées ; il lui semble qu’elle ressent le malaise des ménages du monde entier.

… Petite Isabelle qui cherchez, ce soir, à vous rendre compte de la gêne et de la douleur des autres, vous n’avez, jusqu’ici, compris que ce qui vous atteignait personnellement. Les yeux de votre âme, jusqu’à présent, n’ont regardé qu’en dedans. Vous n’avez pas, par l’observation aiguë et pitoyable d’autrui, tâché de faire de votre esprit une balance équitable. Vous ne savez pas que l’observation est une forme de la justice ; vous ne savez pas qu’en chaque être humain devrait résider un tribunal où l’humanité serait jugée avec honnêteté, avec bienveillance même, à cause de sa faiblesse et de la tristesse de vivre ; vous ignorez, comme presque tous les humains, que l’indulgence active, non pas l’indulgence indifférente, est la plus haute noblesse à laquelle notre âme puisse atteindre.

De telles pensées, Isabelle, ne sont pas les vôtres. Vous n’êtes qu’une créature comme les autres, toute recroquevillée sur vous-même ; vous n’êtes surtout qu’une femme, et les femmes ont déjà tant à faire en s’occupant d’elles-mêmes, de leur pauvre personne instinctive et souffrante !