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Comme tout le monde

pas un instant d’en rien faire sentir dans ses paroles. Sans aucune amertume, elle gardait au plus profond d’elle-même sa petite poésie. Ce sont des choses dont on ne parle pas. On parle de ses enfants, de sa bonne ou du temps qu’il fait, mais pas de cela.

Cependant la conversation de tous venait de s’orienter sur un seul sujet : le marquis et la marquise de Taranne Flossigny.

À l’intention d’Isabelle, les dames racontaient des anecdotes sur ces aristocrates, châtelains du pays, qu’on ne connaissait naturellement que de vue, mais dont on parlait volontiers. Les dames parurent se remplir délicieusement la bouche de ce beau nom double. Et, racontant la fortune et le faste des châtelains, elles y mettaient tant de suffisance qu’on eût dit qu’elles y étaient pour quelque chose.

Isabelle apprit que le marquis, beaucoup plus âgé que sa femme, paraissait cependant plein de charme et de distinction ; que la marquise, belle et très élégante, était d’une grande famille hongroise ; que leur petit garçon s’appelait Anne-Louis-Elémir, et que deux gouvernantes allemandes l’élevaient ; que cette famille seigneuriale ne passait guère au château que la belle saison, mais que la mère du marquis, la vieille douairière de Taranne Flossigny, y vivait toute l’année, invisible et féroce, ne mani-