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Comme tout le monde

festant sa présence que par de perpétuels procès à tous les gens de la contrée. Le docteur Tisserand raconta pour Léon Chardier une des aventures de l’atroce bonne femme, histoire bien connue en ville, mais dont on s’indignait toujours.

Le docteur était d’opinions républicaines. Il commença :

— La mère Taranne Flossigny…

Après avoir pendant plus d’un an laissé les paysans du proche village faire paître leur bétail sur ses prairies bordant la route, les ayant ainsi encouragés et pour ainsi dire apprivoisés, elle avait, en un seul jour, intenté cent vingt procès dans le village, pour « vaine pâture » sur ses terres.

— Quelle bonne cliente !… s’esclaffa Léon.

— C’est mon mari qui plaide pour elle !… dit orgueilleusement madame Lautrement-avoué.

Et Isabelle admira comme elle se rengorgeait, brune, rose et mince dans sa robe bien faite. Elle enviait l’audace qu’avait cette petite femme de jeter ainsi son mot dans la conversation sans devenir toute rouge ni perdre contenance.

L’entrée de M. et madame Godin coupa les racontars sur le château. C’étaient deux personnes mal mises, aux yeux différemment fatigués, aux cheveux du même gris ; le mari petit, gros et triste, la femme grande, sèche, pétillante.