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Comme tout le monde

un autre sur la route même ; et, comme, pour une si petite course, il n’usait pas de sa voiture, mesdames Chanduis et Chardier le rencontraient à pied. Il venait leur dire bonjour, causait un instant. Il aimait les bons mots mais ne les variait pas beaucoup. Cependant, malgré l’encroûtement provincial, il avait conservé cette belle expression que lui donnaient ses yeux pénétrants et noirs, et ses minces narines toujours palpitantes au-dessus de la barbe sombre, toute mêlée de poils gris.

Il parlait comme les autres, mais ne regardait pas comme les autres. Isabelle se sentait rougir sous ses yeux intimidants. Il avait toujours l’air de faire un monde de réflexions qu’il ne communiquait pas. On eût dit qu’il devinait des choses.

Le docteur passé, la promenade reprend, monotone. Isabelle, parfois, y est seule avec ses enfants et sa petite bonne. Elle aime ainsi marcher parmi l’été, dans l’air caressant, sur la route déserte.

Comme elle sent, pourtant, dès qu’elle est seule, que cette route n’est pas sa route ! Une sourde réprobation vit en elle pour tout ce qui n’est pas son pays, son enfance, son inguérissable enfance. La saison a beau être la même, l’été ne revient pas quand on n’est plus une petite fille.

Un jour, elle a vu passer, dans un flot de poussière, l’auto du marquis et de la marquise de