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Page:Delarue-Madrus - Comme tout le monde.djvu/66

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Comme tout le monde

Isabelle rêve. Elle voudrait que sa vie conjugale fût pareille au mariage de ces deux arbres dont l’un domine l’autre si câlinement. Elle voudrait être le petit arbre protégé. Son mari lui serait tellement supérieur qu’elle aimerait à se sentir plier. N’aimerait-elle pas aussi qu’il fût plus vieux qu’elle et l’appelât : « Mon enfant » ? Toujours elle le sentirait s’occuper d’elle, même quand il ne lui parlerait pas. Oui, il serait pour elle comme un père. Ce ne serait pas ce jeune mari qui, dans la journée, n’est pris que par ses affaires, ne s’occupe pas du tout de vous, puis, tous les soirs, à la même heure, devient amant quand on se couche. Cela ne convient guère au tempérament d’Isabelle. Ce qu’elle a, c’est le besoin latent d’une supériorité morale et intellectuelle à ses côtés. Elle voudrait tant admirer un homme qui serait le sien, un homme distingué, fier, affiné ; elle voudrait tant s’extasier, se soumettre à lui, se sentir petite…

La porte s’ouvre. Isabelle sursaute et devient toute rouge en voyant paraître Léon. Pourtant elle était là, si sage, penchée en silence sur la chaussette qu’elle raccommode…

Elle ne lui demande même pas comment il se fait qu’il soit libre de si bonne heure.

— Tu ne sais pas ?… s’écrie-t-elle un peu trop fort, madame Chanduis, tantôt…