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Page:Delarue-Mardrus - La mère et le fils,1925.djvu/10

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la mère et le fils

pareille. Tu aurais pu me parler d’autre chose, ou ne pas me parler du tout…

— Maman, je vous assure que c’est très important. J’ai besoin de savoir des choses. Vous n’avez plus sommeil, vous voyez, puisque vous pleurez… Ce sont mes frères que vous pleurez, je sais, et le reste vous fait mal aussi : le deuil, la ruine, la maladie, tout à la fois. Et n’avoir plus pour enfant que moi, c’est triste…

— Je te supplie d’aller te coucher ! Aurais-tu bu quelque chose ? Je ne comprends pas tes propos. Je vais appeler Hortense. C’est affreux de tourmenter une malade !

— Je suis affreux. Pourquoi vous étonnez-vous ?… Maman est-ce que c’est vrai que j’ai les mêmes yeux qu’Irène ?… Mes frères me montaient tant de bateaux, et moi je n’ai jamais aperçu qu’une fois le petit médaillon que vous cachez dans vos tiroirs. Ça vous épate, hein ? Je ne vous ai jamais parlé de ça, ni de rien, d’ailleurs ! Nous ne nous parlons que pour nous disputer. Mais vous avez dit à mes frères des tas de choses que vous ne m’avez jamais dites à moi. Pourquoi ?

— Tes frères étaient des hommes, et des hommes raisonnables.

— Pas plus que moi. Vous n’avez pas vu nos jeux à tous les trois, quand ils revenaient de leur filature pour les vacances. À cheval, par exemple, vous n’avez pas idée des bêtises qu’ils me faisaient faire ! Ça vous ne l’avez pas su ! Ils vous racontaient mes folies. Mais ils cachaient que j’étais leur pantin et que c’était eux qui m’excitaient. Je pourrais beaucoup vous parler d’eux, vous savez !

— Je ne veux pas… Je ne veux pas qu’on me parle d’eux !… Laisse-moi !… Tu me fais mal !… Tu vas me redonner une crise ! Laisse tous ces souvenirs où ils sont, mon Dieu ! Va te coucher, je t’en supplie !

— Maman, je suis gentil. Je ne suis à cheval que sur une chaise. Il n’y a pas de quoi avoir peur de moi ?

— Mais c’est horrible ! Je te dis de t’en aller !…

— Pas avant d’avoir tout dit… Maman j’en ai assez