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Page:Delarue-Mardrus - La mère et le fils,1925.djvu/11

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la mère et le fils

d’être un petit garçon méchant et grondé. Ça ne peut plus durer. Vous n’avez pas idée de ce qui peut passer par ma tête, de… je ne sais pas… de la rage que j’ai, de l’envie que j’ai d’être un homme. Un homme qui gagne sa vie — et la vôtre aussi, par la même occasion !

— Il est fou, il est fou ! Gagner ta vie ? Comment ? Tu n’as même pas fini tes études ! Est-ce ma faute si la guerre et les malheurs… Tes oncles…

— Ah oui !… Mes oncles ! Ils veulent me remettre au lycée le mois prochain, n’est-ce pas ? Vous croyez que je ne devine pas tout ?

— Tu pourrais les en remercier, mon petit ! Moi, je n’ai plus les moyens… Et qu’est-ce que tu veux faire dans la vie sans bachot ? Toi, surtout, qui, malheureusement, as déjà tout lu, toi, qui apprends tout si vite et sans te donner de peine !… Tu hausses les épaules ?… Je sais trop bien, hélas, que tu es né anarchiste !

— Maman, vous avez de l’amertume contre moi, je sais pourquoi. Mais moi aussi j’ai de l’amertume contre vous, et je sais aussi pourquoi… Eh bien, oui… je vous fais encore pleurer… Tant pis, après tout !

Quel brusque silence ! On n’entend plus rien que ce sanglot doux.

Au bout d’un long moment, elle put écarter ses mains de son visage.

— Va te coucher ! supplia-t-elle, accablée.

Mais elle s’aperçut qu’il chantonnait.

— Irénée !… Pendant que je pleure ?… Ah ! oui !… Tu fais un poème. Je connais ta manière… Tu m’as dit que, chaque fois que tu chantais… À cette heure-ci ?… Un poème sur quoi, ou plutôt contre qui ?… Tu m’as toujours fait peur avec tes poèmes !

— Avec quoi ne vous ai-je pas fait peur ? Les premiers vers que j’ai écrits, et qui étaient pour vous, vous ont pourtant fait pleurer autant que cette nuit.