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Page:Delarue-Mardrus - La mère et le fils,1925.djvu/104

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la mère et le fils

— J’avais parié que c’était vous. On savait que ce numéro-là se préparait, mais on ne connaissait pas celui qui le faisait… Alors, c’est vous ! Il paraît que ce sera sensationnel.

Elle fit un geste vague et dit :

— Mes deux demoiselles.

Irénée salua les jeunes filles.

— Et mon mari.

Il avait une longue moustache noire, les joues creuses, les yeux enfoncés et sombres. Irénée crut bon de donner une poignée de mains à celui-là. Alors tous ceux du compartiment, même les deux jeunes filles, se dérangèrent pour lui serrer aussi la main.

— On est la famille Lénin, dit la mère, des Parisiens.

Les trois autres voyageurs continuèrent :

— Moi, dit l’un avec un accent tudesque, je suis le voltigeur cycliste Hamerdorff, de Munich.

— Moi, dit le garçon trapu, je suis Henri, le Belge, dresseur de bêtes. Je présente un poney rapporteur et des chiens.

— Et moi, dit le dernier, un vieil homme, je suis Harris, clown musicien, Anglais.

Avec la même bonne grâce naïve, Irénée à son tour annonça :

— Moi, je suis Derbos, écuyer français.

Et quand ces présentations eurent été faites, le compartiment devint amical et gai comme une roulotte.

Ils avaient tous, et les trois femmes, l’aspect de ternes petits employés, économiquement habillés, mal chaussés, sans gants — sauf le vieil Anglais, pourtant.

Dans un effort pour être de bonne humeur, Irénée demanda au Belge, avec un grand intérêt :

— Comment faites-vous pour dresser vos chiens ?… Ça m’a toujours paru extraordinaire qu’on arrive à leur faire faire des tours si compliqués !

La famille Lénin se mit à rire.

— Vous croyez qu’il va vous le dire ? s’exclama la mère. Il n’y a pas de danger ! On se cache tous les uns des autres.