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Page:Delarue-Mardrus - La mère et le fils,1925.djvu/114

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la mère et le fils

Il pensait arriver dans les premiers, mais il y avait déjà branle-bas sur la piste et autour de la piste, devant Johny John qui donnait des ordres, traduits par son régisseur.

Certes, il ne s’agissait plus du cirque bleu de Paris, l’un des plus beaux du monde ; mais c’était élégant tout de même.

Ils étaient installés là pour quinze jours.

— Vous allez tâcher, tous, de nous varier les numéros !… traduisit le régisseur. Allons ! Commençons ! Le « un » c’est Malvina, écuyère de grâce. Elle est là ?

Irénée, avec un serrement de cœur, devina. C’était la petite Marie Lénin.

En pantalon de travail, n’ayant de son costume que les chaussons roses, elle se présenta, menue et rachitique. Un chignon sans forme ramassait dans le cou ses cheveux noirs, qui devaient être longs et épais.

— Dégagez la piste !

Il sembla à l’adolescent que la jeune fille devenait plus pâle. Le promenoir se remplit, occupé par des camarades qui attendaient de répéter à leur tour. Irénée n’eut pas le temps de jeter un coup d’œil sur eux. Âprement, il regardait le père Lénin amenant le cheval, un gras et nonchalant percheron d’un blanc sale, qui serait enfariné et muni d’une fausse queue pour la représentation. Sur son dos, la selle spéciale qu’on appelle « panneau » et qui est celle des débutants, s’étalait largement, recouverte d’une étoffe à franges.

La chambrière à la main, le père Lénin tendit le bras pour aider sa fille, qui sauta légèrement en selle.

Là-haut, l’orchestre, également convié, commença le petit air absurde qui s’adaptait à ce numéro 1.

« Et dire que le Hongrois joue ça !… » se dit Irénée.

Mais il ne leva pas les yeux vers la tribune des musiciens, ne voulant rien perdre du spectacle qui l’absorbait.