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Page:Delarue-Mardrus - La mère et le fils,1925.djvu/141

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la mère et le fils

— Ce n’est pas vrai !… Vous ne dites pas ce que vous pensez !

— Je ne dis pas ce que je pense ?…

— Non ! non !… Moi je sais ce que vous pensez ! Allez ! dites-le donc, ce que vous pensez !

Encore ?… Même celle-là, ce gringalet de fille-là qui prétendait le pénétrer ? Lui qui venait d’être si spontanément sincère avec elle, elle niait son élan, sa générosité ; elle l’interprétait, elle le falsifiait.

La vieille colère de toute sa vie reflua en lui.

— Je ne dis pas ce que je pense ?

— Non !

Son sang tourbillonna. Depuis l’enfance il avait ce geste dans la main. Sur sa joue livide, la petite Marie reçut la gifle qu’il n’avait jamais osé donner à sa mère, qu’il avait retenue aussi, l’autre nuit, dans la chambre du palace.

Et, tout aussitôt, épouvanté lui-même de ce qu’il venait de faire, il recula, posa sa paume sur sa bouche avec un cri sourd.

Sans pleurer, Marie Lénin le regardait. C’était son destin d’être battue. Elle levait sur lui des yeux si tristes, si habitués, que cette expression était plus affreuse que tout.

Le cœur déchiré par ce regard, ce fut lui qui se mit à pleurer. Il se laissa tomber dans la sciure, marcha vers elle sur les genoux, et, la tête basse, la prit à deux bras par les hanches.

— Oh ! Marie !… Marie !…

Il releva la face. Elle se penchait vers lui. Laissant les larmes ruisseler sur ses joues, il reprit :

— Marie ! Ma petite Marie !… Je n’aurai pas assez de toute ma vie pour que tu me pardonnes. Ce n’est pas de ma faute… Si tu savais !… Voilà que je t’ai battue aussi, comme tout le monde ! Mais tu ne peux pas deviner… Oh ! essaie, essaie de me comprendre, toi, je t’en prie !… je t’en prie ! Il ne faut pas me prêter des pensées que je n’ai pas ! Il ne faut pas me poser de questions ! Personne n’a jamais compris ça.