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Page:Delarue-Mardrus - La mère et le fils,1925.djvu/154

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la mère et le fils

refusez, si vous m’embêtez, à vingt et un ans je vous ferai une histoire si retentissante que vous en serez déshonorés jusqu’à la gauche, hein ?… et que vous en mourrez, entendez-vous bien ?

Les deux vieux hobereaux, pendant qu’il parlait, se regardaient avec un air étrange, hochaient la tête, échangeaient des signes auxquels Irénée ne comprenait rien.

Quand il se tut, attendant leurs exclamations, il eut la surprise de les voir se parler à l’oreille. Cela dura plus longtemps qu’on ne l’eût cru. Enfin, l’oncle Horace fit un pas vers lui.

— Nous ne voulons pas, dit-il, nous ne pouvons pas marcher contre ta destinée. Nous n’avons jamais rien pu faire de toi. C’est le sang qui parle en toi, retiens ce que je te dis. Nous acceptons le pacte. Nous voulons croire que tu restes un homme d’honneur malgré ton dévoiement, et que l’esprit des Charvelles, l’esprit de ta mère est tout de même en toi quelque peu. Pas de scandale, pas d’histoire. Du reste, au premier éclat, c’est la maison de correction. Nous te laissons donc libre, n’est-ce pas, Édouard ? Tu peux retourner vers la vie de tzigane que tu as choisie… Mais, ajouta-t-il avec un petit geste mesquin, tu nous permettras de te donner quand même quelque chose en héritage. C’est une correspondance que nous avons trouvée dans le secrétaire de ta mère quand elle est tombée dans l’état qui a précédé sa mort.

Dans les petits yeux noirs d’Horace de Charvelles, et aussi dans ceux de son frère, une sorte de gaieté pétillait, à présent, comme si le paquet qu’ils remettaient à leur neveu eût été une attrape fort amusante pour eux.

Irénée flaira quelque vengeance. Il ne dit rien pourtant qu’un « merci » faible.

— Adieu, notre neveu !

— Adieu, mes oncles !

Les mains ne se tendirent pas. La porte de la salle à manger s’était refermée sans bruit.