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Page:Delarue-Mardrus - La mère et le fils,1925.djvu/156

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la mère et le fils

grand violoniste. (Vous vous souvenez de nos larmes à son dernier concert ?) Pour comble de joie, on m’avait mise à sa gauche à table. Vous entendez d’ici notre conversation. Musique ! musique ! musique !

Vous dire l’homme étonnant qu’il est ne me serait pas possible. Simple comme un enfant, original, par moments, à vous démonter, puis, à d’autres, perspicace comme un La Bruyère. Ce qu’il m’a dit de tous les convives de ce dîner, pendant le reste de la soirée, était criant de vérité, alors qu’il les voyait pour la première fois. On dirait que son regard voit dans le dedans des têtes. Mon mari dit que c’est très slave, cette espèce de divination des êtres, jointe à des moments de vraie déraison comme il semble en avoir. Et quel esprit ! Enfin, j’ajoute, égoïstement, qu’il ne s’est occupé que de moi, bien qu’il y eût là des femmes autrement jeunes et jolies que moi. J’attribue ce phénomène à mon amour de la musique qui lui a plu, sans doute, dans une maison où personne n’en fait ; mais, malgré tout, j’étais extrêmement flattée, comme vous pouvez le croire. Mon mari aussi, du reste.

Vous savez qu’il n’est pas jaloux, et pour cause, connaissant mon cœur et, surtout, mes rigides principes religieux. Par contre, la comtesse et ses amies étaient si visiblement dépitées que j’en étais toute confuse.

Enfin, résultat d’un si beau soir : Alexandre Obronine a promis qu’il viendrait un jour chez moi, pour faire de la musique avec moi. Je suis folle de joie et d’épouvante à la fois. Pouvais-je ne pas vous raconter cela ?

Au revoir, ma chérie. J’attends une bonne lettre de vous, sans faute. De mon côté, je vous tiendrai au courant de mes nouveautés.

Votre belle-sœur qui vous aime,

Marie Derbos.
Ce jeudi.

Marguerite, Marguerite, il est venu aujourd’hui ! Quel événement ! Vous savez par mes précédentes lettres que je n’espérais plus rien de ce Russe de génie, et que j’avais pris