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Page:Delarue-Mardrus - La mère et le fils,1925.djvu/160

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la mère et le fils

si toutefois elle arrive jusqu’à vous sans encombre. Mais je dois bien avoir calculé l’heure où Édouard n’est pas au château. Moi seule, de cette façon, serai maîtresse de garder ou de détruire ceci, ainsi que les premières lettres au sujet d’Obronine que vous voudrez bien me rendre aussi par la même occasion.

Car, vous le soupçonnez peut-être, c’est encore d’Obronine qu’il va être question ici.

Marguerite, je rougis toute seule en traçant ces mots qui sont ma honte éternelle : Obronine a été mon amant.

Ne repoussez pas ces feuilles, ne me méprisez pas avant de continuer. Je ne suis pas si coupable que vous pourriez le croire au premier abord.

Prenez connaissance de ma malheureuse histoire, et ne me jugez que lorsque vous aurez tout lu.

Vous savez comme moi, puisque vous avez assisté à Paris, voici bientôt sept ans, aux commencements de notre amitié, que, seule, la musique nous occupait tous deux. Du moins, pensais-je à cette époque qu’il en était de lui comme de moi. Mon enthousiasme pour son génie, je le jure devant Dieu, n’était empreint d’aucun autre sentiment. Son violon était pour moi comme une constante prière. Rien, ni mes devoirs religieux, ni mes devoirs maternels et conjugaux, n’était écarté du fait de cette intimité musicale, qui durait depuis des mois, et que, du reste, mon mari et même mes enfants ne cessaient d’encourager.

Un soir (oh ! Marguerite, ce soir-là, j’en reverrai toute ma vie les moindres détails), Obronine, une fois la musique terminée, mon mari étant parti se coucher depuis plus d’une heure, me regarde d’un air si étrange que je commence à avoir peur.

J’étais habituée déjà à ses bizarreries, à ses sautes d’humeur, à ses silences, à ses flots de paroles, à ses divagations d’artiste un peu fou par moments.

— Marie, me dit-il, m’appelant par mon nom pour la première fois, j’ai une confidence à vous faire. Je suppose que vous l’avez deviné déjà : je vous aime. Je vous aime comme