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Page:Delarue-Mardrus - La mère et le fils,1925.djvu/163

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la mère et le fils

vous m’avez donné plus que l’honneur et plus que la vie. On retrouvera mon corps chez moi et les lettres qu’il faut pour la police. Ma dernière pensée est pour vous qui, pendant des mois, avez été pour moi l’archange pur de la musique. Je vous adore.

« Sacha. »

Vous croyez peut-être, Marguerite, que mon calvaire se termine là. Non. Ce n’était que le commencement.

Vous qui m’avez soignée à ce moment-là, savez quel était mon état après un tel coup. Mon pauvre Paul et vous-même trouviez naturel que le suicide du musicien m’eût atteinte si profondément. Et plus tard, quand je m’aperçus que j’allais être mère, vous vous réjouissiez avec mon malheureux mari de ce dérivatif que, malgré sa rudesse ordinaire, Paul avait si tendrement souhaité.

Mais moi !

Cet enfant sera-t-il celui de Paul ou celui de Sacha ? J’avais toutes les raisons d’hésiter entre les deux pères. Oh ! que l’humiliation qui m’écrase pendant que je trace ces mots de courtisane me soit comptée sur ma part d’enfer !

L’enfant est né. Vous n’avez pas, alors, pu comprendre ce qu’il y avait dans ce cri que j’ai poussé lorsque vous m’avez annoncé, souvenez-vous : « Il ressemble à la petite Irène ! »

Il me semblait que j’étais sauvée, que cette ressemblance avec mon premier enfant prouvait miraculeusement que le nouveau-né n’était pas d’un autre sang. Je croyais que Dieu lui-même voulait me montrer qu’il me pardonnait.

Et puis…

Marguerite, la dispute violente de nos maris nous a séparées, hélas ! Vous n’avez pu continuer à suivre le développement de notre Irénée. Peut-être auriez-vous avant moi deviné ce que je ne voulais pas admettre dans mon épouvante d’honnête femme — oui, d’honnête femme malgré tout, Marguerite.

Maintenant, la preuve est faite. Dieu a mis tous les raffinements dans mon châtiment. Cet enfant a aujourd’hui