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Page:Delarue-Mardrus - La mère et le fils,1925.djvu/162

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la mère et le fils

que j’ai aimée en silence sût que je l’aimais, afin que son souvenir me reste après ma mort. C’est tout. Je m’en vais à présent. Adieu !

Comment vous décrire ce qui s’est passé ensuite ? En sanglots à mon tour, je le suppliai de renoncer à son crime. Je priai pour ceux qu’il allait tuer, pour lui-même, pour moi… Enfin…

Enfin, Marguerite, — oh ! que Dieu me pardonne cela — j’ai été à lui. J’ai été à lui sur le serment qu’il renonçait à son abomination. Une consolation dans mon malheur irréparable, c’est que j’ai épargné des existences, arrêté un crime effroyable, que j’ai empêché un malheureux exalté de mourir assassin.

Car il est mort, Marguerite, vous le saviez, mais vous ignoriez, comme tout le monde, la cause de ce suicide qui a bouleversé Paris.

Je me hâte d’achever, car ma plume ne tient plus dans mes mains.

Le lendemain (à l’heure où Paul est à son bureau), un étranger demandait à me parler. Je pressens qu’il vient de la part d’Obronine. Je le reçois. C’était un grand Russe hirsute et famélique. Je m’aperçois en l’interrogeant, affolée, qu’il ne sait pas un mot de français. Sans me regarder, il tire de sa poche une lettre et la pose sur le pupitre du piano, puis s’en va sans saluer.

Cette lettre posée là, je la verrai toute ma vie. Cette lettre, aussitôt brûlée, je la sais par cœur.

« Marie,

« Vous avez voulu que je n’accomplisse pas la tâche qui m’incombait. Je vous ai cédé. J’ai été lâche. Je ne puis donc plus vivre. Je meurs déshonoré, mais non désespéré, car