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Page:Delarue-Mardrus - La mère et le fils,1925.djvu/23

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la mère et le fils

parce que, la campagne, je l’ai assez vue dans le temps. Mais, tous les deux ou trois ans, j’irai faire un tour au pays.

Un silence suivit. Irénée regardait passer, sur le vilain masque, espoirs et souvenirs, vague embryon de poésie qui se faisait jour tout de même à travers tant de vieille atrocité.

Elle dut s’apercevoir enfin qu’il ne racontait rien.

— Vous, vous êtes costaud, malgré votre figure d’amant de cœur. Vous en verrez aussi, d’ici que vous ayez mon expérience. En attendant, vous allez toujours apprendre le service ici. Quand ils vous auront bien mis d’aplomb, vous pourrez aller ailleurs, et gagner plus.

Pas de réponse. Elle dut le juger timide ou sournois. Bougonne, elle se leva.

— Allons !… Il faut que je vous montre, maintenant. Ils diraient encore que je suis une feignante.

Il s’était levé comme elle, et la suivit.

— Voilà la salle à manger. Vous savez balayer ?… Pas plus que ça ?… Je vous montrerai.

Une porte fut ouverte.

— Ça, c’est l’antichambre. Faut que ce soit fait dès le matin. Voilà le salon, que vous connaissez déjà. Là, faut faire très attention, parce que…

Elle expliqua minutieusement, toute gouape abandonnée, fière de prononcer devant le novice des mots qu’elle connaissait et qu’il ne connaissait pas. « Le beau tapis d’Aubusson… la pendule Empire… le vase de Chine… »

— Surtout, dit-elle, près de la fenêtre, faites bien attention de ne pas me froisser mon tulle brodé.

Devant le piano à queue, la haine reparut.

— Je vous recommande de remettre droit ce chameau de machin-là quand vous l’aurez essuyé. Il faut, continua-t-elle avec un rire de rage, qu’il soit sur ce sens-là et pas sur l’autre ; sans ça, ça fera des histoires à n’en plus finir. Ah !… je m’en suis vu pendant plus d’un an, avec ça !

Il examina la belle pièce de vieux Rouen à la corne, dont le décor lui rappelait l’un des trésors de sa famille, cassé par lui, quand il était tout petit. Il ne concevait pas que la bonne