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Page:Delarue-Mardrus - La mère et le fils,1925.djvu/28

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la mère et le fils

pas avoué que j’en gagnais deux cents ? Voilà donc un homme auquel sa femme a l’habitude de mentir. Elle lui ment pour cent francs. Donc, c’est un avare. »

Il était Asmodée. Il avait peur que l’expression de sa bouche ne le trahît. La bouche, voilà le danger du visage le plus maître de soi.

Ayant changé les assiettes et les couverts avec une dextérité pleine d’élégance :

— Bravo, Jules !… s’écria Mme Maletier.

Son mari la regarda, flegmatique. Se gardant de hausser le ton, il commença, souriant, aimable, et toujours en anglais :

— Êtes-vous imbécile, chère ? Si vous lui payez de tels compliments, il demandera de l’augmentation demain.

Alors Mme Maletier reprit le français pour dire à son mari :

— Tu sais, mon ami, que M. et Mme de Leuvans m’ont téléphoné qu’ils viendraient à trois heures aujourd’hui ? Peux-tu rester pour les voir ?

— Mon Dieu, si ça te fait plaisir, je crois que je pourrai rester un moment…

Ils se levaient de table, le café pris.

— Jules, dit Mme Maletier assez sèchement, vous ferez entrer ce monsieur et cette dame au salon. Ils ont rendez-vous.

Et, sans le regarder, le trio quitta la salle à manger.

Albertine, la fourchette en l’air, la joue gonflée, faisait entendre en mangeant plusieurs sortes de bruits de bouche. Une fois de plus sa vie chez les raffinés ne lui avait rien appris.

Irénée, sans en avoir l’air, observait ce phénomène. Avec quel appétit il déjeunait de restes, en face d’une cuisinière ! Il savait qu’à aucun moment elle ne lui demanderait à quoi il pensait.

— Vous n’êtes pas bavard !… remarqua-t-elle enfin.