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Page:Delarue-Mardrus - La mère et le fils,1925.djvu/48

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la mère et le fils

« À l’écart !… se répéta-t-il, frappé comme par une révélation. C’est bien ça !… »

D’un geste de colère, il referma le livre de l’aïeule. Quelque papier dépassait des pages qu’il venait de bousculer. Il le tira. C’était une lettre toute jaune de temps, huit pages d’une petite écriture aux lignes serrées. Il regarda la signature : « Marguerite » ? Qui était Marguerite ? Il ne savait pas, ou ne se rappelait plus.

« Ma chère Marie,

« Vous m’avez demandé d’écrire la jolie légende de votre maison. Vous me prêtez des talents que je n’ai pas. Mais je suis trop heureuse de vous faire plaisir, ma chérie. Vous trouverez donc au verso ma petite élucubration. Vous mettrez cette légende dans le livre de votre grand’mère, sûre qu’elle sera bien cachée là, car ce n’est ni votre mari, ni le mien, ni Horace qui risqueront de la retrouver parmi ces vers qu’ils se garderont de relire, si tant est qu’ils les aient jamais lus, pas plus qu’ils ne liront jamais d’autres vers. Ils ont tous trois autre chose à faire, hélas ! J’entends d’ici, si jamais ceci leur tombait entre les mains, le gros ricanement de votre filateur et le petit rire pincé de vos deux frères. Édouard serait capable de me battre, ce qui serait très peu distingué, car il s’est mis en colère chaque fois que j’ai évoqué celle qu’ils appellent « la vieille toquée », notre Irène de Charvelles. Vous me permettrez ce mot, n’est-ce pas, puisque notre parenté par alliance à toutes deux est plus proche et plus tendre que celle du sang. Chère, chère Marie !… Mais je ne veux pas m’attendrir. Revenons plutôt à nos moutons.

« En l’espèce, les moutons sont plutôt des veaux, y compris vos deux aînés que vous appeliez si tristement (vous rappelez-vous ce soir fameux de nos premières confidences ?) « des petits étrangers ».