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Page:Delarue-Mardrus - La mère et le fils,1925.djvu/47

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la mère et le fils

Longtemps il s’attarda, toujours avec l’intention de se lever pour retourner vers la malle. Le jour commençait à tomber quand il put enfin s’arracher. Il tâtonna pour trouver un nouveau bouquin. Ce qu’il amena lui fit hausser les épaules. Roses de Jeunesse. C’était un petit volume relié de peau, doré sur tranches, le livre de son aïeule, Irène de Charvelles, imprimé jadis par les soins de la famille, au temps où, jeune femme, la dame d’autrefois s’enorgueillissait si fort d’écrire des vers dans le style de M. de Lamartine.

Irénée avait entendu parler de cette vieille histoire par ses frères ironiques. Tout ce qu’il savait des siens venait de ses frères. Des bribes de généalogie, des fragments d’anecdotes, tout cela, rendu plus vague d’être passé par leurs cervelles insouciantes, restait confusément dans la mémoire du cadet, avec d’autres obscurités jamais approfondies. Il lui semblait se souvenir que le nom de la fameuse Irène, morte à quinze mois, lui avait été donné justement en mémoire d’Irène de Charvelles, auteur des Roses de Jeunesse.

« C’est donc d’elle aussi, pour finir, que je tiens mon nom d’Irénée… »

Un peu de curiosité l’engageait tout de même à feuilleter ces vers désuets. Il avait dû déjà les parcourir dans le temps.

Il prit sur lui de lire jusqu’au bout le poème choisi au hasard. Impatient, sa bouche moqueuse se relevait pour un petit rire de moderne, imbu de mallarmisme.

— Ce n’est pas possible d’aller jusqu’au bout !

Il fit voler les pages sous son pouce distrait. Pourquoi, somme toute, pourquoi maman ne lui avait-elle jamais parlé de ces choses que connaissaient ses frères ? Le médaillon d’Irène, pourquoi ne l’avait-il vu que par surprise, puisque ses frères le connaissaient si bien ?

Son questionnaire triste le tourmentait de nouveau. De toute évidence, maman avait toujours évité de le mettre au courant des souvenirs familiaux, comme si, du fait d’être né tant d’années après François et Marcel, il eût été le petit paria qu’on tient à l’écart du foyer.