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la mère et le fils

D’un geste d’enfant, il porta la vieille lettre à ses lèvres. Et comme il faisait cela, son cœur creva, son cœur gros de petit garçon rabroué. Il découvrit tout à coup qu’il avait toujours vécu plein de chagrin. Maman ne l’avait pas aimé, non ! Froide, distante, agressive, comme elle l’avait bien désespéré !

À travers ses larmes, il chercha, dans le jour douteux de l’heure, les passages qui l’avaient le plus étonné : « Vos deux aînés que vous appeliez si tristement des petits étrangers. » Puis : « Non, ma chérie, ne craignez pas de trop l’aimer. François et Marcel ne s’apercevront même pas qu’il est le préféré. » Puis : « Celui-là seul est votre fils, vous le savez aussi bien que moi. » Et encore : « Après avoir eu deux garçons fort ordinaires qui ne faisaient qu’aggraver son deuil de mère inconsolable… »

— Qu’est-ce que ça veut dire ?… dit-il tout haut.

Une lueur nouvelle éclairait sa vie. De tels commencements rendaient plus incompréhensibles encore l’attitude dont sa mère ne s’était jamais envers lui départie.

Il baissa profondément la tête.

— Je l’ai déçue…

Un remords horrible lui broyait le cœur. Il secoua sa tête révoltée :

— C’est de sa faute !

En y réfléchissant, il lui semblait qu’un tout petit signe de sa mère, un simple regard l’eût, dans son enfance, changé de fond en comble. Jamais elle ne lui avait fait sentir qu’à un moment il avait pu être le préféré. Toujours elle avait paru l’aimer moins que ses frères, et même ne pas l’aimer du tout.

Un mot aussi le plongeait dans des gouffres : Marie, qui se destinait au couvent.

Les prunelles dilatées, plus bleues dans l’ombre de ce grenier crépusculaire :

— Qu’est-ce que c’était donc que maman ?… se demanda-t-il, comme frappé de stupeur.

Là-dessus, il fut subitement pressé d’aller la revoir, vite la revoir dans son lit. Il remit avec soin la lettre dans le livre, enfonça le livre dans sa poche. Et le voilà qui dégringole les