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Page:Delarue-Mardrus - La mère et le fils,1925.djvu/53

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la mère et le fils

marches de l’échelle de meunier par où l’on redescend du grenier.

La mère Hortense était près d’elle, la préparant pour son dîner. La lampe était allumée, la soupe fumait sur la table.

— Monsieur m’a fait peur !… sursauta la vieille servante.

Et, tranquillement, elle ajouta :

— Je ne savais pas où était monsieur. Je pensais que vous étiez reparti, m’sieu Irénée. Cependant, j’ai mis votre couvert là, comme à midi.

En s’asseyant au pied du lit, les yeux dardés sur la figure anéantie de sa mère, il demanda sans tourner la tête :

— Mère Hortense, dites-moi ! Depuis combien de temps servez-vous chez nous ?

— Monsieur, voilà bientôt vingt-trois ans que je connais la famille. Je n’ai pas toujours été bonne ici, mais, plus ou moins, j’aidais dans la maison.

— Vingt-trois ans !… Alors vous avez connu tout le monde ! Mon père… mes tantes…

— Mais oui, monsieur !… (Je demande pardon à monsieur, parce qu’il faut que je m’approche pour faire manger madame.) J’ai connu tout le monde, bien sûr !

— Comment était mon père ?

— Oh ! un bel homme, monsieur !

— J’avais quel âge quand il est mort ? Deux ou trois ans, je crois ?

— Oui. Trois ans.

Elle n’était pas expansive, habituée, eût-on dit, à tenir sa langue. Mais les cent francs de pourboire qu’il lui avait donnés dataient d’hier. La sentant encore plus émue, il ne craignait pas de la pousser. Pleine des secrets de la famille, n’était-ce pas le seul être qui pût lui répondre, à présent ?

— Et ma tante Marguerite ?… avança-t-il bravement, vous l’avez connue ?

— Oh ! oui, monsieur, je crois bien !