Aller au contenu

Page:Delarue-Mardrus - La mère et le fils,1925.djvu/58

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
58
la mère et le fils

pas d’arriver, quitterait son vieux nourrisson pour aller tout droit se placer chez le maire ? Qu’est-ce qu’on en ferait alors ? Dans quel asile innommable irait-elle échouer, pauvre innocente ?

Il sentit à quel point elle était orpheline. Orpheline de ses deux fils tués à la guerre, qui l’eussent prise chez eux et soignée, orpheline aussi de son intelligence sombrée.

Un étrange sentiment lui naissait, continuant des impressions précédentes, celui d’être le frère aîné, le seul soutien d’une espèce de toute petite fille.

Comment la défendre ?

« Ce n’est pas en restant assis au bout de son lit jour et nuit, certainement ! Du reste, j’ai déjà compris que cette phase-là, d’aucune façon, ne pouvait se prolonger. Alors ?… »

Appuyé contre le vieux cheval verdi, longtemps, il resta sur ce mot :

— Alors ?

Dans son angoisse, il arrachait sans le savoir, le long du socle envahi, de petits morceaux de mousse, et les tordait dans ses doigts tourmentés. Sa propre haleine apparaissait à chaque respiration, dans l’air froid, sous forme de légère vapeur, témoin de la vie brûlante qui chauffe au dedans de nous. Un peu de soleil traversait la brume. Les clinquants de l’hiver finissant scintillaient gaiement partout.

Une envie furieuse d’être heureux souleva la poitrine du jeune garçon. Pourquoi, quelquefois, a-t-on de ces bondissements devant les misères de la vie, puisqu’il est impossible d’en rejeter l’exaspérant fardeau ?

Il baissa la tête, écrasé. Son regard tomba sur ses mains qui, toujours déchiraient des bouts de mousse. Elles étaient bleues de froid.

— Voilà !… pensa-t-il amèrement. Je vais aller me réchauffer les doigts au fourneau d’Hortense. C’est un bonheur, ça, n’est-ce pas ? C’est bien une petite chose qui me fera un peu plaisir ?