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Page:Delarue-Mardrus - La mère et le fils,1925.djvu/57

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la mère et le fils

que choisir dans le chaos de ses pensées. Il était malheureux, rien de plus. Malheureux et rebelle.

Continuer longtemps à vivre caché dans la maison, à contempler pendant des heures le spectacle hallucinant de sa mère détruite ? L’argent qu’il avait gagné ne durerait pas plus de quelques mois. Il deviendrait bientôt la bouche inutile, l’intrus regardé de travers par la vieille servante désobligée. Elle le vendrait. Ses oncles viendraient le prendre. L’un d’eux était son tuteur. Il avait le droit de le remettre au lycée ou de le garder dans son château, jeune bête capturée qui rugit en cage.

Une force formidable d’action grondait en lui. L’inconnu s’ouvrait devant son indépendance frémissante. Pendant un instant, il goûta la joie forcenée de se sentir si jeune, ridiculement jeune, et si seul, désespérément seul.

Il s’aperçut que, traversant la prairie, il serrait les poings.

Il vit de loin que la maison avait ouvert les yeux. Les Persiennes de maman, les volets de la cuisine étaient poussés. Hortense était levée. « Je vais me faire pincer par quelque paysan !… pensa-t-il. Si quelqu’un me voit, je suis perdu. »

Là-dessus il se mit à courir, léger comme un tout petit garçon, refrénant son envie de faire la roue. Il savait où se cacher. C’était dans le fourré sauvage où le vieux cheval de plâtre, debout sur son socle, piaffait, levant haut l’une de ses jambes de devant à moitié démolie. Il avait dû jadis être monté par un cavalier de plâtre comme lui, disparu sans qu’on sût pourquoi.

Irénée, blotti, laissa le vieil enchantement agir. Ce fut dans ce coin, ce refuge de toutes ses rêveries enfantines, que, brusquement, il fit face à l’avenir comme on regarderait un ennemi dans les yeux. Il traduisit la scène muette par un mot bien simple :

— Maintenant, il faut que je me débrouille !

Et, soudain, cette petite question le foudroya :

— Et maman ?

L’abandonner à ses oncles avares, au bon vouloir de la mère Hortense qui, lorsque les deux grippe-sous s’aviseraient de réduire encore les dépenses, ce qui ne manquerait