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Page:Delarue-Mardrus - La mère et le fils,1925.djvu/62

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la mère et le fils

danseuse aérienne. Le public, mille petites faces roses dans une immensité toute bleue, les lumières en rond, les gréements compliqués tombant de haut, le velours des loges, les garçons en livrée groupés près du rideau mystérieux par lequel entrent et sortent les numéros, tout concordait à créer l’atmosphère enivrante qui, dans les cervelles du bas âge, demeure la merveille des merveilles.

Un élan soulevait maintenant Irénée Derbos, exactement pareil à ceux qu’il avait eus au temps de ses grosses boucles. Entrer par ces rideaux dans la piste, apparaître en costume scintillant, saluer, commencer quelque tour étourdissant… Quelle vie ! Quelle belle vie ! « J’espère bien qu’il va y avoir des chevaux… », se dit-il.

Après l’entr’acte, il y eut des chevaux, certes ! C’était la pièce de résistance, l’attraction pour laquelle le cirque, tout à coup, achevait de se remplir.

L’adolescent lut par-dessus l’épaule de quelqu’un sur le programme : Johny John et ses chevaux sauvages. Scènes de la vie des Cow-Boys.

Un frisson d’attente courut. La musique de l’orchestre changea. Les rideaux s’écartèrent. Sur un petit cheval furieux bondit jusqu’au milieu de la piste un gaillard assez gros, en costume du Texas, large feutre gris, foulard, rouge, pantalon de cuir frangé de lanières. Derrière lui parut un second cavalier maigre et noir. Le premier mit pied à terre, développa son lasso. Le numéro sensationnel était commencé.

Les jeux du lasso se continuèrent, sans musique, par une scène qui fit crier les femmes et se lever en désordre tout le premier rang. Amené sur la piste, attaché au pourtour, un cheval sauvage devait être sellé par le cavalier maigre, tandis que le gros, remonté sur sa bête, excitait du geste et de la voix son malheureux compagnon.

Chaque fois que celui-ci, la lourde selle aux mains, s’approchait du cheval, le cheval, dressé tout debout, puis ruant, poussant ces cris de fauve que les chevaux ne jettent que dans la terreur ou la fureur, faisait voler en l’air, tout à tour, la selle et l’homme. Roulé, frappé, piétiné par les sabots,