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Page:Delarue-Mardrus - La mère et le fils,1925.djvu/61

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la mère et le fils

là où les étrangers, mieux que dans les cabarets à la mode, pourraient apprendre à quel point notre race a le bec fin, comme on dit.

Après ce dîner dans ce coin, ne sachant que faire, entraîné à l’insomnie, labouré par ses pensées, il erra dans les rues. L’idée lui vint d’aller voir Albertine. Mais elle devait être déjà sortie, enfouie dans les ombres de quelque cinéma, son amour à ses côtés. « Si je savais dans lequel, je la rejoindrais. Je saurais par elle s’il y a quelque espoir de reprendre ma place. »

Ses pas hésitaient le long de l’asphalte, sous les trente-six chandelles de Paris nocturne. Alors il renoua le fil du rêve interrompu le matin, dans le parc, au pied du cheval de plâtre.

« Nous prenons un taxi. Elle a sa belle fourrure. Nous allons entendre jouer… Nous allons entendre jouer… Qu’est-ce que nous allons entendre jouer ? Ça lui fait plaisir. Elle me regarde d’un petit air aimable… »

Voilà. Ses yeux qui rêvaient se relevèrent.

Dans la vaste avenue noire qu’il suivait au hasard, un flamboiement rouge venait de l’arrêter. Aller au cirque, comme cela tout seul ? Pourquoi pas ?

— Allons !… pensa-t-il en entrant, un peu honteux. Nous devions aller au concert, mais, ce soir, c’est elle qui se sacrifie pour moi…

Le spectacle était commencé depuis un long moment. Lorsque enfin il eut gagné sa place, tout en haut, une femme habillée en Japonaise se promenait sur la corde raide, une ombrelle à la main.

Avec des narines d’enfant, il huma la délicieuse odeur des cirques, où domine la sueur de cheval unie à quelque sauvage relent de ménagerie. L’orchestre sautillant animait la