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Page:Delarue-Mardrus - La mère et le fils,1925.djvu/8

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la mère et le fils

montrait ses veines exagérées. Leurs mains vieillissent comme leurs visages. La trace de l’alliance ôtée, indélébile anneau, restait enfoncée dans la chair du doigt.

Le sommeil fut agité, les paupières s’ouvrirent.

— Tu es encore là ?… Pourquoi ne vas-tu pas te coucher ? Je n’ai plus besoin de rien.

— Bon !… Je vous ai réveillée ! Je ne bougeais pas, pourtant !

— Je te sens tout de même. Tu me regardes.

— Je ne vous ai jamais si bien vue ! D’habitude vous parlez, et je suis trop occupé à vous répondre.

— Pour me contredire.

— Voyons… C’est vous qui contredisez toujours !

Elle se redressa. Ses yeux étaient petits et noirs. Elle cessait, réveillée, d’être pathétique. Un énervement saccadé lui retirait de la noblesse.

— Tu trouves que c’est bien de me parler de cette façon-là ?

Il fit un mouvement brusque, mais se tut. Elle le considérait.

— À quoi penses-tu ?

— À rien.

— À rien ? Vraiment. Tu n’en as pas l’air !

— Alors à tout, si vous aimez mieux.

Un silence suivit cette insolence. Il la haïssait pour avoir posé cette question qui prétend violer le mystère de l’âme.

« J’ai le cœur un peu serré, parce que tout est si drôle. C’est comme ça depuis que je suis né. Ce doit être la faute de maman. Je l’ai toujours connue crispée et pleine de reproches. Mes frères avaient fini par me faire comprendre. Se peut-il qu’ils aient eu cette supériorité sur moi d’être nés avant moi, de m’avoir connu quand je ne savais pas encore que j’existais !

« J’ai commencé la vie par un carnaval. Il me fallait représenter Irène, morte à quinze mois, deuil impardonné. Je n’étais pas Irène. J’étais une grande déception.