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Page:Delarue-Mardrus - La mère et le fils,1925.djvu/80

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la mère et le fils

Le cheval s’était arrêté de lui-même. En relevant la tête, Irénée vit, entassés dans la tribune, tous ceux de la salle de gymnastique, et le patron du manège, au milieu d’eux, qui, sans oser rien dire, lui faisaient des signes de félicitation.

- Maintenant, il est temps de quitter tous ces gens. J’ai à vous parler. Vous déjeunez avec moi. Il n’est pas midi, vous avez le temps d’aller prendre votre bain et de vous habiller. Je vous attendrai à une heure dans le bar des Champs-Élysées, à gauche. Nous aurons notre lunch là.

Et, par une espèce de délicatesse qui n’échappa pas au petit, puisque tout ce monde les regardait, avant de partir le cow-boy lui donna une poignée de mains, à lui seul, pour bien montrer que, malgré sa balafre, il était l’unique gentleman de la compagnie.

Il avait, après avoir fait soigneusement sa toilette, remis son costume de ville, le seul qu’il possédât, du reste.

Déjeuner dans cette atmosphère d’élégance, à cette belle table si bien servie, parmi des odeurs truffées et le bruit discret des conversations l’étonnait, après tant de crémeries et de marchands de vins.

— Voilà, boy ! Mes différents numéros ont usé tous les cirques d’ici. Alors je constitue une troupe à moi qui fera les grandes villes de l’étranger. Vous m’avez dit que vous étiez prêt à tout. D’ici quelques mois, nous partons. Entendu ?

Pendant la seconde où surpris, il resta sans répondre, Irénée eut le temps d’imaginer un splendide destin, des terres, des mers, des capitales, des chevauchées la tête au vent sur des continents étrangers, la griserie, en un mot, du nomadisme, tout ce qu’il souhaitait au monde.