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Page:Delarue-Mardrus - La mère et le fils,1925.djvu/90

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la mère et le fils

La période sombre était passée. Les séances au manège, entre Johny John et Dick, laissèrent bien loin les poèmes commencés. En rentrant les soirs, éreinté, le jeune Derbos n’avait que le temps de se jeter dans son lit, où il tombait endormi comme on meurt subitement.

Aux rares moments de loisir, à table, dans sa crémerie : « Après tout, quoi ? Je suis un pauvre type de cirque, rien de plus !… Et ensuite ? Cela vaut mieux qu’autre chose. Je préfère être du côté de la piste que du côté du public. »

Depuis qu’il ne boudait plus, il était redevenu ce petit psychologue qui, paradoxalement, veillait derrière sa nature d’enfant fou. Les mille détails de sa carrière nouvelle, en s’agglomérant, finissaient par dessiner dans son esprit une image exacte, points de tapisserie qui gagnent chaque jour sur le canevas incolore.

Passer en numéro trois dans le programme, c’est commencer à être un personnage. Il était à présent assez applaudi pour que l’orchestre jugeât bon de soutenir les battements de mains qu’il suscitait d’un trémolo sourd, ce qui « fait tumulte » et engage le public à rappeler plus chaleureusement le personnage qui vient de travailler devant lui.

La vanité enfantine d’Irénée connaissait donc enfin quelque satisfaction. D’autre part, les projets d’avenir de Johny John entretenaient en lui la belle palpitation sans laquelle il ne pouvait pas vivre. Il brûlait à présent de savoir ce que seraient ces tours qu’on lui ferait faire plus tard. En attendant, le numéro « Ivan et Dimitri » s’annonçait bien.

— Nous pourrons mettre ça en numéro 7 !… avait dit le régisseur.

Et c’était certainement une place enviable dans le programme, jusqu’au jour triomphal de finir la première partie, de commencer la seconde, ou de passer en avant-dernier numéro.