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Page:Delarue-Mardrus - La mère et le fils,1925.djvu/91

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la mère et le fils

D’humbles figures de camarades sortent de l’ombre.

Il y a, dans la vie des cirques, un mélange de pathétique et d’ingénuité qui, peut-être, constitue le charme spécial de ce vieux divertissement dont nous ne sommes pas encore las.

À une époque où le cabotinage et le bluff triomphent plus grossièrement que jamais, voici tout un monde où le vrai courage, l’endurance et souvent le martyre sont les bases mêmes de l’existence.

Quand la musique se tait, au cours de la représentation, quand le public éprouve, dans ce silence subit, le serrement de cœur qu’il est venu chercher là, certes, à ce moment, beaucoup plus peut-être qu’on ne le croit, le Péril est entré sur la piste, fantôme invisible qui se mêle tragiquement aux pauvres fantoches en maillot chargés d’amuser notre soirée.

Car nombreux sont, parmi la troupe errante, ceux qui furent démolis par l’aventure.

Ce n’est pas en vain que l’appareil du cirque ressemble souvent aux gréements d’un navire. Que de naufrages dans l’ombre de ces amarres, de ces échelles, de ces filets suspendus au-dessus des têtes levées des spectateurs !

Le jeune Derbos ne pouvait regarder sans frisson, chaque soir, celui qui faisait, avec un autre et le « speaker des clowns », son entrée comique.

Le bon rire enfant du public grondait comme un tonnerre autour de ces pitreries. Vêtu d’un pantalon trop grand qu’il perdait toujours, d’une redingote crevée qui lui tombait aux pieds, son nez écrasé peint en rouge vif et sa mâchoire de prognathe en blanc pur, une perruque de chiendent sur la tête, Tom recevait les coups de pied, les seaux d’eau de savon ou les pots de mélasse sur la figure, se prenait les pieds dans les tapis, tombait, bégayait, pirouettait sous les gifles, pleurait, se ramassait, regardait tout le monde avec des yeux d’imbécile, en poussant des petits cris inarticulés.