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LE PAIN BLANC

quitte, ma chérie. Je veux que tu saches le mot qui est dans mon cœur, car, dans sa mélancolie affreuse, il résume tout : « Quel dommage ! »

« Marcelle, vas-tu continuer à me haïr, maintenant que tu ne me verras plus ?

« Non, tu vas être plus normale, donc plus heureuse, et sans doute vas-tu commencer à comprendre ce que j’étais.

« Adieu ! ma chérie, ma chérie irresponsable, triste victime de tes nerfs, grande malade, grande artiste, grand bourreau, que je continuerai à aimer de tout mon cœur, que j’aimerai mieux, même, n’étant plus sous la triste férule. Adieu !

« Ton mari, ton pauvre mari,

« Stephen Arnaud. »

Ils avaient lu tous les quatre ensemble, en silence, les têtes rapprochées et penchées sur les feuilles de la lettre.

Laissant retomber la dernière feuille, Mme Arnaud fît entendre un petit rire faux ; puis, entre ses dents :

— C’est joli !

Ce fut tout. Elle se leva, digne et calme, replia la lettre qu’elle glissa dans son corsage, jeta les yeux autour d’elle, et proposa d’une voix douce :

— Si nous arrangions un peu ce salon ? En nous y mettant tous les quatre, ça irait très vite.

Les garçons, comme heureux de se dégourdir les jambes, approuvèrent :

— Allons-y !

Mais Élysée restait, elle, assise sur le matelas, immobile, avec un regard de visionnaire.

Derrière sa stupeur première, une foule de pensées effarées se levait déjà.

Sans s’occuper d’elle, les autres avaient entrepris de faire voyager le piano à queue. Les garçons riaient trop fort. Maman disait de temps en temps une petite parole tranquille.

Était-elle subitement guérie ? Était-ce un conte de fées qui se déroulait depuis moins d’une demi-heure ?

Quand le piano fut dans l’angle qu’il fallait, les fauteuils disposés en rond :