Page:Delarue-Mardrus - Rédalga, 1931.djvu/108

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
108
rédalga

« Cette femme serait seulement un peu belle ou plutôt ne serait pas impossible, il y aurait de quoi avoir le grand béguin malgré son âge. »

Belle, elle l’était, maintenant, belle comme son buste en voie de chef-d’œuvre. Elle le serait plus encore entourée d’amour et de soins, promenant du Brésil à Paris ses toilettes merveilleuses et la gloire de son nom claironné partout. Car, le « grand béguin », Rodrigo, si bien préparé d’avance, venait de l’avoir, avec toute la flamme de sa race, en l’apercevant dès le pas de la porte, telle qu’elle était devenue depuis son départ.

Harlingues, peu à peu livide, refrénait ce qui montait dans son âme et dans ses mains : un désir immédiat de jeter à terre le buste qu’il faisait, et de le piétiner en grinçant des dents.

Rodrigo se tourna soudain vers lui.

— Pardonnez-moi, maître ! Je ne vous ai même pas dit bonjour. J’étais tellement bouleversé… Vous me comprenez ! Vous avez lu ma lettre !…

— Oui… dit Harlingues en s’étouffant.

— Cette femme, si vous saviez le poète que c’est ! Et voilà qu’elle est devenue physiquement comme mon rêve. C’est trop, quand on ne s’y attend pas !

— Vous n’avez donc pas rencontré Alvaro ?… demanda le sculpteur en se contenant. Je croyais qu’il était passé chez vous tantôt. Il n’a pas revu Mrs Backeray, mais je lui avais dit.

— Est-il passé chez moi ? Je suis sorti depuis ce matin.

— Il voulait même vous inviter à déjeuner pour demain, avec Mrs Backeray et moi.

Harlingues venait d’appuyer sur ces mots. Il vit Rodrigo devenir aussi pâle que lui-même. Et, pendant une seconde, ils échangèrent un regard flamboyant de mâles qui vont se battre pour la femelle.