Page:Delarue-Mardrus - Rédalga, 1931.djvu/113

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
113
rédalga

Tiens, puisque tu acceptes d’être notre interprète, il y a des tas de choses que je veux lui demander.

— À ton service, fit Alvaro gaiement.

Les hors-d’œuvre arrivaient. Le maître d’hôtel soumit le menu choisi par madame. Parlant anglais, il avait pu s’entendre avec elle.

— Elle s’y connaît, remarquait Alvaro. Regardez donc.

Le sommelier entra.

— Et les vins, cher ?… Qu’est-ce qu’elle aime ?

Alvaro se mordit la langue. La gêne ne dura pas le quart d’une seconde.

— Conseillez-nous, continua-t-il en s’adressant au sommelier d’un air fort dégagé.

Pendant la première demi-heure, Harlingues crut qu’il allait profiter de la présence d’Alvaro pour éclaircir toutes les obscurités de leur singulier amour. Il sentit bien vite que les mille nuances passées sous silence entre eux ne pouvaient pas être révélées, même à un camarade très aimé. Pudiquement, il garda ses secrets, — leurs secrets, — et ne demanda presque rien.

Par ailleurs, Alvaro s’était mis à converser en anglais tout naturellement et, le plus qu’il pouvait, il traduisait pour Harlingues.

— Très amusant !… s’écria-t-il à la fin du poisson. Mrs Backeray dit que, la première fois qu’elle nous a rencontrés à Montparnasse, elle n’a accepté de venir à notre table que parce qu’elle avait une envie folle de fumer et n’avait plus de cigarettes.

Un peu plus tard :

— Elle dit que, pendant que tu la fais poser, elle regarde tes grandes statues et que c’est comme si elle écoutait un splendide poème. Elle dit que ta Grande Initiée lui inspirera certainement des vers. Elle la comprend bien, tu sais ! Je ne m’étonne pas que ce soit un grand poète. Elle est d’une cul-