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rédalga

refluer la pensée. Le voilà malheureux. Alors, il cherche d’autres raisons de l’être.

Outre les quotidiennes déceptions du métier, les autres…

Il y a la cherté des matières premières, il y a les incessants débours qu’on doit faire avant même d’être sûr de rien praticiens, mouleurs, modèles, et marbre, et bronze si l’on va jusque-là, vastes dépenses qui n’ont chance d’être récupérées, sans même songer à des gains, que si l’acheteur surgit ou si la belle commande arrive, du fond d’un horizon plus encombré que d’autres par les intrigants, les malins, les protégés.

Et, quand l’œuvre est enfin debout, en face de cette accumulation de déboires et d’efforts que représente la moindre statue, voici le public, son ignorance, son indifférence pire.

Par un accord universel et tacite dirait-on, il est convenu que les statuaires sont voués à l’anonymat, comme jadis les constructeurs de cathédrales. À part deux ou trois initiés, qui connaît les auteurs des statues des Tuileries ? Quel journaliste, lorsque s’élève, en France, un monument à la gloire d’un grand civil ou des pauvres morts de la guerre, songea jamais à publier, près des noms des hommes politiques l’inaugurant et des femmes de théâtre y récitant des vers, celui de l’artiste qui l’a fait ?

« Je sais… Il y a les grands noms. Combien sont-ils ? Et puis tout cela n’est pas encore le plus triste. »

Écoutant la pluie, bruit du ciel tombant sur la terre, Harlingues se grise à répéter l’un de ses mots : « l’éternel désolé ».

Ses statues, à ses yeux, ne sont à peine que des ébauches. Sur chacune, il voudrait travailler avec cet acharnement solitaire qui finit sans doute par être une espèce de vice.

Une à une, il regarde sa Grande Initiée d’Eleusis, figure sans lendemain prévu, sa Notre-Dame du Nord, laissé-pour-