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compte d’une basilique reconstruite, et les deux allégories en chantier commandées par la Belgique. Ces quatre géantes, elles sont dans le plâtre, comme des infirmes. Reproche permanent, grandes comme ça, les maquettes, oubliées dans les coins, ont gardé pour elles une flamme non transmise. Cette chaleur du génie, comment la communiquer à l’amas de glaise froide qui fait craquer les phalanges, les menace de rhumatismes noueux, puis finit par s’aveulir jusqu’à ne plus rien conserver, pas même l’équilibre du monument ? Des semaines et des semaines de courage et d’éreintement n’ont pu donner à ces grandes machines la vie des toutes petites choses sorties en un quart d’heure de dix doigts fiévreux façonnant des rêves.

Il conclut brusquement en se disant qu’au bout du compte il vaudrait peut-être mieux crever tout de suite.

L’envie de la mort est déjà venue le chercher. C’était à de certaines heures d’ironie ou de colère. Les colères d’Harlingues sont rares, mais effrayantes. Il a une statue au Luxembourg, oui. À force de tergiversations de la part de l’État avare, il a fini, dégoûté, par lui en faire cadeau.

Médiocrement, il vit de quelques bustes, de quelques commandes provinciales ou religieuses. Avec un regard comme le sien, on est un innocent. Son art, qu’il aime jusqu’à vouloir en mourir, il ne sait en tirer argent ni gloire. Il est seul. À son départ pour la guerre, fils unique, il était orphelin de fraîche date. Son deuil et ce qu’il a vécu dans les tranchées n’ont formé qu’une seule mélasse d’horreur. Au retour, il aurait pu se marier pour refaire un nid humain et s’y réchauffer. Il n’a pas eu le temps. Il s’est jeté trop vite sur sa sculpture abandonnée.

Quand passe le banal amour, c’est sous les espèces de quelque modèle, unique occasion d’étreindre, vivante, une de ses statues.

Sa passion et sa pauvreté, c’est, en temps ordinaire, un